Lucie Passédat

Un loup nommé Lucie Passédat

Le loup Lucie Passédat aux truffes (c)Richard Haughton

Un tronçon de loup. De la tomate ancienne concassée. Huile d’olive. Basilic, coriandre. Truffes. Dans son restaurant Le Petit Nice perché sur une corniche rocailleuse de Marseille, face au célèbre Château d’If du Comte de Monte-Cristo, Gérald Passédat entretient le souvenir de sa grand-mère avec délice et respect du potager marin. L’hommage culinaire se prénomme Lucie.

En tenue de scène, en robe Belle Epoque, en costume tyrolien. Jean-Paul Passédat, 82 ans, présente avec tendresse les diverses tenues de sa maman, chanteuse d’Opéra, posant sur les autochromes, affichées à l’entrée de l’hôtel cinq étoiles. L’ancien chef, qui a tracé la voix étoilée du Petit Nice en décrochant les deux premiers macarons de la maison, n’est pas peu fier de ce trésor familial. La signature des Frères Lumière rappelle que Lucie Passédat était bien leur muse. Cent ans plus tard, elle est une source d’inspiration pour son petit-fils, Gérald.

Prologue

A son retour au Petit Nice en 1987, après des expériences auprès de Michel Guérard et des frères Troisgros, Gérald Passédat travaille le poisson préféré de sa grand-mère : le loup. D’abord entier, puis en filet et aujourd’hui en tronçon, la bête se retrouve maintes fois sous le couteau du chef, en passe de succéder à son père à la tête du restaurant marseillais. Le jeune cuisinier veut réanimer la délicatesse de la chair du loup qui, à l’époque, est trop cuite. Son idée : déguster le poisson à la cuillère. Dans un premier temps, la matière est cuisinée à la vapeur. Passédat tente la technique de la papillote pour atteindre son objectif. Il s’empresse d’essayer les tous premiers fours vapeur. Au fil des années, la cuisson à basse température s’impose au chef. D’ailleurs, l’amateur de plongée n’envisage pas de travailler autrement les 65 espèces marines méditerranéennes – dont certaines sont volontairement peu connues, servies au Petit Nice. La toque a trouvé son credo : retranscrire au plus près le goût de sa Méditerranée chérie. Le loup, et ses comparses, sont directement livrées par les pêcheurs marseillais, avec qui le propriétaire du Relais & Châteaux a passé un marché. Les poissons doivent présenter leur hameçon, signe distinctif d’une pêche à la palangre. Et ils ne doivent pas être entreposées sur la glace, au risque de brûler leur chair. Gérald Passédat n’hésite pas à faire maturer deux jours les spécimens pour gagner en goût et en moelleux.

“Au début, la recette était un loup ouvert en portefeuille avec des légumes à l’intérieur, et un semblant de sauce vierge. Ce n’était pas précis, mais l’intention y était” se souvient le représentant de la troisième génération Passédat. “Le loup Lucie Passédat aux truffes”, servi accompagné d’une purée de courgettes allégée aux blancs d’oeufs montés en neige (une technique que le Chef recommande vivement pour remplacer la crème traditionnelle, et ce dans toutes les purées de légumes), nécessitera une dizaine d’années d’essais, de corrections, de réflexions pour aboutir au plat signature qui fleure bon le soleil.

Terre & Mer

Gérald Passédat, Chef 3 étoiles du Petit Nice (c) Richard Haughton

Car la recette fétiche du membre des “Grandes Tables du monde” ose la symbiose entre la Mer Méditerranée et la terre provençale. “C’était une évidence”, me confie t-il. “A l’époque, je cherchais encore ma voie culinaire et j’essayais de nombreuses associations.” Et d’ajouter, amusé, “je me souviens que je réalisais un gâteau de grenouilles aux pieds de porc”. Nous sommes à la fin des années 80, et Gérald Passédat n’a pas encore eu le déclic pour la Méditerranée, l’espace nourricier de sa cuisine trois étoiles. D’ailleurs, à cette époque, son père a construit la réputation de la table marseillaise en misant sur une cuisine bourgeoise à base de viande et de recettes crémeuses, à l’image du vol-au-vent.

Encore aujourd’hui, le chef Passédat garde une empreinte subtile de cette cuisine de la terre. Dans son assiette signature, les tomates anciennes sont les porte-paroles des couleurs de la Provence. Ce samedi soir, lorsque le chef Passédat opère les présentations de sa brigade, au service de 45 couverts, il n’a pas perdu une minute pour m’apporter un exemple de la base de sa recette. Nous sommes en hiver, mais la tomate respire toujours le soleil azuréen de l’été dernier. Telle une mamma italienne précautionneuse, Gérald Passédat prépare ses bocaux de tomates anciennes pour la prochaine saison. Il se réjouit même de leur goût qui a eu le mérite de se concentrer au fil des semaines. Dans la sauteuse, un condiment à base de coriandre et de basilic relève la texture juteuse du fruit-légume, associé à un concentré préparé au préalable avec un fumet de poisson.

A mesure que l’association terre-mer de la recette s’aiguise, les souvenirs d’enfance structurent l’assiette sous la houlette de la truffe. “Le Ventoux est un pays de truffes. Quand j’étais gamin, mon père m’emmenait au marché de Carpentras et on rentrait avec 20 à 30 kg de truffes que l’on confiait à ma grand-mère”. L’or noir est une composante majeure du plat de Gérald Passédat, qu’il parvient à servir toute l’année en confinant précieusement les bijoux terreux dans des bocaux. En brisures, la truffe noire se mêle à la base de tomates, saupoudrées généreusement au dernier moment dans la sauteuse.

(c)RichardHaughton

Epilogue

Gérald Passédat propose une cuisine de réconciliation de deux des quatre éléments – l’eau et la terre, en respectant le présent et en s’inspirant du passé. Tout démarre en septembre 1917. Germain Passédat, son grand – père, s’empresse d’acheter la villa Corinthe. Le boulanger-pâtissier a du flair. En voulant dupliquer Nice “à 5 minutes du centre-ville et à 100 km du bruit”, il écrit le premier chapitre de la seule maison trois étoiles de Marseille, Le Petit Nice

Découvrez le dressage du “Loup Lucie Passédat aux truffes” par le Chef Gérald Passédat :

>> Découvrez les coulisses du Petit Nice

Le Petit Nice

Anse de Maldormé Corniche JF Kennedy

13007 Marseille

www.passedat.fr

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