3 étoiles pour Alain Ducasse au Plaza Athénée, autant pour Christian Le Squer au Georges V (dont je vous présentais le plat signature ici). Le verdict du guide Michelin est tombé ce 1er février. Il existe mille et une façons de débriefer, analyser, expliquer ce palmarès critiqué mais tant attendu. Je laisse les meilleurs s’en occuper.
Je préfère vous présenter la signature de Christophe Moret, chef du restaurant L’Abeille, au Shangri-La Hotel. L’ex-virtuose des fourneaux de Lasserre vient de conquérir une deuxième étoile. Sa cuisine est celle qui m’a le plus émue en 2015 (avec celle de Sylvestre Wahid chez Thoumieux). Présentations.
Difficile de résumer la cuisine de Christophe Moret en un seul mot, même s’il existe de nombreux lieux communs dans le jargon du journalisme culinaire qui conviendraient (subtile, délicate, pleine d’émotions etc…). Derrière chaque assiette se cache un homme (ou une femme), qui retransmet sa personnalité. C’est exactement le cas de cet ancien collaborateur d’Alain Ducasse dont la simplicité transpire dès le début de notre interview. Sous la carapace de ce grand gaillard se dissimule une vraie sensibilité qui me ramène immédiatement aux assiettes dégustées lors de mon dernier passage au Shangri-La. Son plat signature est sans doute le meilleur exemple. Dans le titre, tout est dit : oursin et caviar en délicate royale. Une recette équilibrée entre la puissante saveur de l’oursin, l’iode du caviar et l’onctuosité longue en bouche de l’émulsion marine.
Oursin & caviar en délicate royale
Une question s’impose sans détour après la première bouchée du deuxième plat de ce menu concocté spécialement pour la première édition du Festival international de la gastronomie by Shangri-La Hotel : comment l’adresse gastronomique du palace de l’Avenue d’Iéna ne brigue qu’une seule étoile ? Ce n’est pas trop d’avouer que les larmes me sont montées avec les “goujonnettes de Saint Pierre laquées, coquillages et kacha au parfum de cédrat, lait ribot pour les saucer”.
Goujonnettes de Saint-Pierre laquées, coquillages et kacha au parfum de cédrat, lait ribot pour saucer
Plus de trois mois après le dîner, le goût reste ancré dans ma mémoire. N’est-ce pas ce détail qui distingue les plats de la haute cuisine de tous les autres ? Le souvenir. A mon sens, un chef réussit cette performance s’il n’oublie pas la gourmandise. Qu’y a t-il de plus frustrant qu’une asperge, aussi savoureuse soit-elle, se battant en duel avec un autre ingrédient riquiqui ? La dernière composante de l’équation consiste pour un chef à approfondir la culture culinaire de son client avec une nouvelle saveur, une association surprenante, l’origine moins connue d’un produit… L’assiette remplit le contrat. Christophe Moret est un artiste. Un créateur généreux.
Grenouilles dorées, chanterelles, terre végétale de Cazettes torréfiées
Cet ancien du Plaza Athénée est aux fourneaux de l’Abeille depuis fin octobre 2014. Les inspecteurs du guide Michelin ont préféré rétrocéder le restaurant gastronomique à une étoile en 2015, apprenant le départ du chef Philippe Labbé. Le délai était bien court pour Christophe Moret pour changer la donne avant le bouclage du guide.
Toute l’année, la brigade a butiné les deux étoiles jusqu’à la validation de cette récompense lundi. Le chef Moret compte cultiver sa curiosité au cours des prochains mois pour atteindre son nouvel objectif : les trois étoiles. Rendez-vous en 2017.
Interview. Rencontre et confidences à chaud du Chef Christophe Moret
Christophe Moret, Chef exécutif au Shangri-La Hotel, Paris (c)Roméo Balancourt
Les deux étoiles sont dans la poche. Que ressentez-vous ?
C’est la consécration d’une année de travail. Ce sont les efforts de toute une équipe : serveurs, cuisiniers, pâtissiers… C’est une victoire d’équipe.
Précédemment chez Lasserre, vous bénéficiez déjà des deux étoiles. Cette fois, c’est vous qui êtes le maître d’oeuvre de cette conquête. Vous savourez différemment la réussite ?
Quand je suis arrivée chez Lasserre, ils avaient perdu la deuxième étoile. On l’a récupéré ensuite. Mais au Shangri-La, ces étoiles ci sont davantage accrochées à mon nom. C’est plus personnel. Il y a donc un peu plus d’émotion.
Votre cuisine est-elle aussi plus personnelle à l’Abeille ?
Définitivement. Lasserre est une très belle maison. C’est une adresse historique, donc on ne peut pas la révolutionner. Au Shangri-La, j’ai carte blanche.
En arrivant au Shangri-La, l’objectif était clair : conquérir des étoiles. Voilà une première étape engagée avant les trois étoiles.…
Quand on en a deux, il faut en viser trois. C’est la première pierre du travail. Je pense que le potentiel est là. Il va bien sûr falloir travailler.
Quelle est la recette des trois étoiles ?
Je pense que c’est une multitude de détails, dans l’assiette, dans le service, dans l’innovation, dans l’attractivité du restaurant, la vaisselle…
Le vin aussi est une composante majeure pour conquérir cette récompense ?
Notre chef sommelier, Cédric Maupoint, effectue un travail incroyable. Quand on vous présente le bonhomme déjà, vous avez envie de lui commander du vin. Bien sûr, mais, j’insiste, c’est un ensemble.
Quels produits avez-vous envie de travailler durant les prochains mois pour démarrer ce nouvel objectif ?
On attend l’asperge avec grande impatience. Elles sont un peu en avance cette année, comme il n’a pas fait trop froid. J’ai déjà quelques idées. Et, nous sommes associés au maraîcher Thierry Rians, à qui nous avons demandé de planter certains légumes pour pousser notre créativité.
La cuisine légumière est résolument tendance…
Je l’ai toujours pratiquée car mes grands-parents étaient maraîchers. Lorsque j’ai ouvert Spoon pour Alain Ducasse en 1998, l’approche culinaire avec les céréales, les légumes, les herbes était déjà présente. Quand je conçois mon restaurant, je me demande ce que je dois servir si une personne précise qu’elle est végétalienne. Il y a de plus en plus de clients qui ont ce profil, ou qui mangent sans gluten. Donc la carte prévoit déjà des assiettes qui sauront les satisfaire. Et la brigade est donc organisée pour faire face à la demande.
Vous avez également changé de chef pâtissier. Mickaël Bartocetti remplace François Perret. Comment se déroule votre collaboration ?
C’est quelqu’un que j’apprécie et avec qui je travaillais déjà lorsque j’étais chef au Plaza Athénée. Mickaël était chef de partie. Notre collaboration consiste à travailler le produit. C’est un garçon qui a une approche très “cuisinier” de la pâtisserie. Je souhaitais des desserts cuisinés. Je suis vraiment fier de lui, notamment avec le “tea-time vegan” qu’il a imaginé. C’était pas facile.
La pâtisserie prend de l’ampleur. Pourrait-on imaginer une menu tout sucré, dans l’esprit de celui de Claire Heitzler chez Lasserre ?
Pourquoi pas. Ce qu’il faut, c’est rester curieux.
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