Jean-Michel Deiss

Jean-Michel Deiss donne une leçon de vin

Chaque mois, le restaurant Loiseau Rive Gauche (anciennement Tante Marguerite), phare gastronomique parisien du Relais Bernard Loiseau en Bourgogne, accorde son attention au travail d’un vigneron à travers un menu élaboré par son chef Maxime Laurenson. Une opportunité qui peut prendre la forme d’une véritable tranche de vie, quand l’invité s’appelle Jean-Michel Deiss, star de l’Alsace vigneronne. Croyez-moi, vous ne dégusterez plus jamais comme avant…

Oeuf en mousse de Beaufort & Alsace blanc Marcel Deiss 2015

“Le vin n’est pas réservé à une communauté de « sachants » qui seraient les seuls à le comprendre […] C’est comme s’ils s’étaient mis d’accord pour se comprendre entre eux, en décrivant les arômes d’une manière qui nous échappe. C’est faux. Le vin est accessible à tous, parce que nous tous connaissons les 60 mots qui décrivent ce que j’appelle le “toucher du vin : rugueux, lisse, épais etc…”

Jean-Michel Deiss, petit-fils de Marcel Deiss qui a donné son nom au domaine alsacien de Bergheim, défend la démocratisation du vin. Chacun est capable de se connecter aux nectars que le vigneron fait naître sur ses 27 hectares de vignes pour peu qu’il lui accorde son attention, sans lui donner une intention avant d’y avoir trempé les lèvres. “La couleur donne de mauvaises informations sur le contenu” prévient le vigneron, qui conseille de déguster dans des verres opaques noirs pour se défaire de ce code que le cerveau ne peut s’empêcher d’interpréter sans effort. Et de poursuivre :

 “Aussitôt le vin servi, on enfonce le nez dans le verre, on s’empresse de le faire tourner, sans prendre une seconde pour nouer un premier contact. Ce que vous recevez du vin, c’est ce qu’il accepte de vous donner”.

Voilà que le premier plat du jeune chef Maxime Laurenson débarque – tartines de beaufort, et oeuf en mousse de beaufort, et va permettre d’appliquer la philosophie à la pratique.

Pour le servir : un Alsace Blanc 2015. “Sentez jusqu’où descend la goutte !” lance Jean-Michel Deiss pour enseigner cette nouvelle forme de dégustation qui enlève toutes les conventions habituelles, et rendent la matière bachique si complexante. En effet, “la goutte” cristalline descend profondément, jusqu’au sternum. L’indice d’un grand vin ? évidemment ! Mais, pour Jean-Michel Deiss, cette particularité naît dans le terroir de silice où l’Alsace Blanc a démarré son existence.

Car le terroir dicte la dégustation. Retenez. Une roche sédimentaire ne descendra pas autant, et le goût sera “droit en bouche”. C’est le cas de ce magnifique Alsace “Engelgarten” 2014, qui escorte “l’huître “perle blanche”, poire, céleri, Reine des Prés”, de Maxime Laurenson. Un vin de velours qui enrobe avec délice la chair iodée du mollusque.

L’Alsace “Rotenberg” 2012 s’arrête encore plus haut, sans même atteindre le cou. Un nectar rugueux, d’après le terme de Jean-Michel Deiss, qui fournit une bouche légèrement moelleuse et qui, surtout, envahit la bouche de soleil. La lumière est toute aussi intense dans l’assiette avec la “féra du lac”, et les jeunes carottes parfumées à la berge” de Maxime Laurenson, ex-élève du chef doublement étoilé Jean Sulpice. Les couleurs de l’assiette correspondent en tout point à celles du terroir au pied des vignes de cette parcelle pour le “Rotenberg”, assure le vigneron. Et le chef de Loiseau Rive Gauche n’a pourtant effectué aucun repérage au préalable pour imaginer la recette. Bluffant ! Nouvelle leçon : fermez les yeux, et tentez de décrire les sensations du vin. Il y a fort à parier qu’un nectar qui réchauffe tout le palais s’est épanoui sur un terroir baigné de soleil…

A Burlenberg, le terroir est même volcanique. “La roche est comme cramée” souligne le producteur, qui a justement baptisé son vin rouge “Burlenberg, la colline brûlée”. C’est le troisième type de goutte à laquelle prêter attention. Rien ne descend et tout le goût se concentre autour de cette intense et chaude sensation dans le palais. Des foutaises ? Le chef a pourtant fumé au foin d’Auvergne un caneton, qui arrive d’ailleurs sous nos yeux quittant tout juste les braises… “C’est rare d’accorder les vins avec autant de justesse” convient Jean-Michel Deiss, qui souligne la “grande sensibilité de Maxime Laurenson”, sérieux candidat à l’étoile Michelin en 2018.

Comment cette gamme de vins réussit-elle à s’imposer avec autant de caractère, quand les vins d’Alsace ont vite fait d’être résumés, à tort, comme des crus qui ne sont bons qu’à accompagner la choucroute ? Le producteur érudit s’impose chaque jour de dévorer des ouvrages qui aiguisent encore et toujours ses connaissances à propos du terroir, de la vigne, de l’humanité…

Jean-Michel Deiss défend “le vin de terroir”, celui qui consiste à obliger le cep à puiser le plus profondément dans la terre, en opposition “au vin factice et hollywoodien dont ne veulent plus les consommateurs”. Deiss accompagne la nature et passe pour un philanthrope à la mode “viti”. L’agriculteur philosophe qui travaille en biodynamie pratique la complantation, une technique qui consiste à mélanger plusieurs variétés de raisin sur une même parcelle. Officiellement, l’Alsace Blanc 2015 compte pas moins de treize cépages dans son CV. Officieusement, il y en a soixante, compte tenu des diverses ramifications de chaque cépage. Cette pratique a pour effet d’élever des vins qui ne passent pas inaperçues auprès des papilles et qui imprègnent la mémoire gustative.

Cette parfaite harmonie culinaire se termine par un dernier plat intelligent, qui reste dans la signature végétale de Maxime Laurenson. La glace à la livèche, une plante aromatique qui pousse dans la montagne, rejoint le soleil de la bouche miellée de cet Alsace “Huebulh” 2010. Un grand vin d’émotion, qui descend tout droit vers le coeur… “Les grands vins sont ceux dont on reconnaît le terroir, et non le cépage” conclut Jean-Michel Deiss. Et ce sont ceux dont le goût construit le souvenir…. Des vins signature.

Pour mieux découvrir les vins du Domaine Marcel Deiss

Toutes les prochaines dates des soirées oenologiques de Loiseau Rive Gauche

Menu 120 euros en 5 accords et et vins

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