Clare Smyth

Clare Smyth est-elle la meilleure femme chef du monde ?

Notting Hill. Portobello Road remballe son bric à brac. 18h30 précises, et la lourde porte noire du restaurant “Core” s’ouvre. Trois autres couples sont à l’heure. Ce soir, on dîne chez Clare Smyth.

En avril dernier, les organisateurs du classement des 50 meilleurs restaurants du monde font monter la sauce autour de leur prochain palmarès attendu pour juin, en nommant la nouvelle lauréate de leur prix de “la meilleure femme chef de l’année”. Seule à la barre de son tout premier restaurant, Clare Smyth reçoit donc les félicitations moins d’une année après avoir accueilli ses premiers clients.

La nord-irlandaise entre au panthéon “50 Best” de ces quelques cuisinières, reconnues internationalement, qui ont eu deux mérites : celui de savoir régaler, aussi bien qu’un homme, et… celui d’être une femme. Anne-Sophie Pic, la fille du grand Jacques Pic, que tout article ne peut s’empêcher de surnommer (à juste titre) la-seule-femme-chef-française-aux-trois-étoiles, a inauguré en 2011 cette récompense sponsorisée par Veuve Clicquot, empruntant le nom de la grande dame de Champagne, première femme à avoir géré les affaires d’une maison de la pétillante région, à la fin du XIXe siècle. Une icône, remplacée en 2018 par un nouveau sponsor : Elite Vodka…

Nous avons réservé notre dîner chez Core fin mai 2018, repoussant depuis de nombreux mois notre séjour londonien. Clare Smyth n’avait pas encore reçu en mains propres son trophée. Trois mois d’anticipation étaient nécessaires pour bénéficier d’une table. Nous souhaitions nous faire notre propre avis sur la cuisine de la première femme cheffe britannique à décrocher les trois étoiles Michelin au royaume de Sa Majesté : Clare Smyth fut durant pas moins de onze années la cheffe exécutive de Gordon Ramsay, Ecossais médiatique qui effraie les restaurateurs en perdition dans “Hell’s Kitchen”, le pendant british du Français Philippe Etchebest.

Promenade en terre anglaise

Cuisine grande ouverte, dont le blanc éclatant s’accorde avec la veste parfaitement ajustée de la cheffe qui ne manque pas de lancer un “welcome” lorsque les clients rejoignent leur table, on entre chez Core comme on se rend au théâtre. Seule différence : les acteurs sont déjà montés sur scène. L’équipe applique les bonnes manières d’un restaurant gastronomique, travaillant ostensiblement à la conquête des étoiles Michelin. En phase avec la nouvelle génération d’adresses en rupture avec la vieille mise en scène décorative, qui œuvraient autour des effets rustiques, de très belles tables en bois sans nappe composent une salle aux airs de campagne (très) chic. Un mini-bouquet de fleurs sauvages agrémente chaque serviette religieusement pliée. Un petit épi de blé indique que nous nous apprêtons à partir en balade dans la nature anglaise. Et quelle promenade ! Tour à tour, les membres de la brigade se passent le relais en salle pour énumérer les composants du plat, et surtout raconter leurs origines. Les noix de St Jacques sont servies en tartare, dans un consommé d’algue et de légumes, qui nous envoie tout droit respirer l’air pur sur l’île de Mull, en Ecosse d’où elles proviennent. Le plat a été dressé dans une coquille, que le service ouvre sous les yeux du client. L’effet est malin : la fraîcheur du mollusque tapisse les narines sans détour.

Tartare de St jacques de l’île de Mull, consommé aux algues et aux légumes

Lady Smyth

Clare Smyth ose donner une leçon de géographie à ses clients : il y a des crevettes dans la Baie de Morecambe, située au nord-ouest de l’Angleterre près de l’île de Man. On pêche aussi le turbot de l’autre côté de la Manche. A terre, on élève des agneaux, des canards et on cultive la pomme de terre. Bref, l’Angleterre, qui doit gérer une réputation culinaire mondialement moquée pour sa piètre qualité (en totale contradiction avec l’excellence de sa cuisine gastronomique, rappelons-le) est un grenier à délices que l’on aurait tort de ne pas explorer sous prétexte de clichés voraces. Clare Smyth réussit un tour de force : celui de nous donner envie de croquer l’Angleterre toute entière. Si la cheffe manifeste une grande dextérité pour appliquer les techniques de la cuisine française, avec ses tartelettes de foie gras et Madère et ses gougères tomate et basilic par exemple, elle exécute surtout une cuisine patriote.

Verdict : Clare Smyth est-elle la meilleure femme chef du monde ? Cheffe, un point c’est tout. Son plat le plus populaire ? Une pomme de terre généreusement décorée d’oeufs de harengs et de truite, nappée d’un beurre blanc, qui rappelle son enfance dans une ferme nord-irlandaise (voir ci-dessous). Grâce au pain fait-maison, on sauce, on re-sauce, et tant pis pour les bonnes manières. Clare Smyth est cuisinière avant tout.

N.B : On regrettera simplement le manque de finesse des desserts, qui ne s’avèrent pas aboutis. Revisiter le traditionnel « cherry bakewell », une tarte britannique à la cerise, amande et frangipane, file l’hommage que Clare Smyth rend à son pays. Malheureusement, la texture est bien trop gélatineuse pour ravir la dégustation de la madeleine de Proust anglaise. Quant à la meringue poire et verveine citronnelle, elle est à l’opposé des assiettes salées tirées à quatre épingles de la cheffe Smyth…

 Voici le déroulé du menu dégustation

parfait de foie gras et Madère

Gougère tomate et basilic & anguille gélifiée, algue toastée, vinaigre de malt

Anguille gélifiée, algue toastée, vinaigre de malt

« Potato and roe » – oeufs de hareng et truite, beurre blanc

Turbot, crevettes de la baie de Morecambe, beurre brun

« Lamb carrot » – agneau braisé, yaourt au lait de chèvre

canard, nectarine, thym, miel et poivre de Timut

« Cherry Bakewell »

Poire & verveine

Pâtes de fruits au Sauternes et Banyuls

Côté vins

Core by Clare Smyth

92 Kensington Park Rd, Notting Hill, Londres

Menu en cinq services – £95

Menu en trois services  – £85

Menu en sept services  – £115

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